Lorsque nous arrivâmes aux alentours du domaine de SBB-Historic, à savoir l'ancien dépôt des locomotives d'Olten, dans lequel une grande partie des véhicules-moteurs historiques électriques des CFF est remisée, quelle ne fut pas notre joie de constater que quelques locomotives se trouvaient déjà hors du dépôt, à la vue de leurs premiers visiteurs.
Vers quatorze heures, l'impressionnant ballet des machines en mouvement commença et ce furent tour à tour, l'Ae 3/6 II 10439 de 1925, la Re 4/4 I 10001 de 1946, la Ce 6/8 III 14305 de 1926 (l'impérialissime "Crocodile", remorquant les deux « s½urs Sécheron » non enclenchées, les Ae 3/5 10217 de 1923 et Be 4/7 12504 de 1922), la Flèche Rouge RCe 2/4 1001 de 1935, l'Ae 6/6 rouge 11425 « Genève » de 1958, la machine de man½uvre Ee 3/3 16399 de 1947, la locomotive Diesel prototype de ligne Bm 4/4 18451 (ex Am 4/4 1101) de 1939 et enfin une automotrice ex RBe 4/4, peinte en bleu-blanc, de la série autrefois numérotée de 1401 à 1482 et construite de 1959 au début des années 1960 ; il fut même présenté en mouvement un tracteur à batteries du type Breurer, tout de jaune habillé. Comme nous pouvons tous nous en rendre compte, un authentique menu gastronomico-ferroviaire « cinq étoiles » nous fut offert sur un plateau !
Durant la période des mouvements, qui dura au bas mot au moins une bonne heure, des variantes eurent lieu, ceci pour le plus grand bonheur des ferrovipathes participants ; par exemple, entre autres, les deux « s½urs Sécheron » non activées furent, cette fois, remorquées par l'Ae 3/6 II 10439, qui les poussa ensuite contre une composition de voitures voyageurs CFF du style des années 1930, afin de former un ensemble à l'osmose parfaite ; en outre, cette composition voyageurs longeait des bâtiments très anciens, ce qui en augmentait encore d'une manière significative la nostalgie y relative. Ces mouvements furent, bien évidemment, abondamment photographiés et filmés pour la postérité.
Le dernier mouvement fut consacré à la mise en place et à l'alignement parfait des différentes locomotives devant les entrées du dépôt ; dès que les véhicules-moteurs furent correctement disposés, les organisateurs autorisèrent les visiteurs à parcourir les voies et à ainsi s'approcher des locomotives, pour totalement s'imprégner de leur présence et s'immiscer dans leur intimité, ainsi qu'également effectuer les prises de vues d'ensemble ou de groupes de machines sous toutes leurs coutures.
Quels bouleversants instants que de pouvoir déambuler parmi ces machines maintenant apaisées, fleurant délicieusement bon l'huile chaude, nous permettant ainsi de nous enivrer de l'un des parfums ferroviaires parmi les plus capiteux (en cumulant l'odeur d'ozone à celle de l'huile chaude, on obtient une authentique fragance électrico-ferroviaire du plus haut niveau). Petite parenthèse: quant au charbon en combustion des locomotives à vapeur, il constitue également un autre parfum digne d'être inhalé à pleins poumons. Ainsi donc, pour en revenir à Olten, malgré leur stationnement, ces véhicules-moteurs électriques demeurèrent majoritairement enclenchés, ce qui nous permit d'écouter le chant discret de leur génératrice (pour le chargement des batteries nécessaires au courant de commande, ainsi qu'à leur éclairage intérieur et extérieur) ou, plus puissant, de leur compresseur ou de leurs ventilateurs. Alors que mon ami et mois déambulions, tous deux les mains dans le dos, l'âme émue, recueillie et soumise, entre l'Ae 3/6 II 10439 et la Ce 6/8 III 14305, tout en dissertant sur le colossal vécu de ces témoins du passé, nous nous imprégnâmes de leur omniprésence et de leur magnificence, mais toutefois en demeurant attentifs aux messages qu'elles nous transmettaient. De temps à autre, je jetais un coup-d'oeil à leurs visages, à leurs expressions et à ainsi capter leur bienveillance. Tout à coup, le compresseur de la "Crocodile" Ce 6/8 III se mit en marche et la machine vibra de tout son corps ; c'est à cet instant précis que je dis à mon ami, tout en posant ma main sur une main courante tremblante de la machine : « Vois-tu et entends-tu comme elle vit, comme elle nous transmet sa parole et sa gestuelle » ? Quelques instants plus tard, un jeune cheminot (à mon avis âgé de trente à trente-cinq ans) de SBB-Historic s'approcha de nous deux, parla des locomotives présentes et nous dit en allemand : « Diese Maschinen haben einen Herz, eine Seele, ein Gesicht, sie sind sehr robust und tragen noch die echte schweizerische Qualität » ; "die Re 4/4 II + III und die Re 6/6 der SBB, sowie die braunen Re 4/4 der BLS sind die letzten echten und authentischen schweizerischen Normalspur-Lokomotiven"; ce jeune homme avait tout simplement tout compris et résumé, avec la meilleure des efficacités possibles, la situation qui prévalait en ces instants. L'émotion fut tout à son comble et quelques larmes perlèrent ici et là !
Seize heures approchant, le temps de la séparation était venu ; nous prîmes congé de ce monde merveilleux, toutefois en ne manquant pas de nous retourner encore quelques fois sur cette scène ferroviaire désormais apaisée, pour un dernier salut, une ultime reconnaissance, avant de nous diriger définitivement sur la gare et de monter dans le train qui nous emmena à notre destination définitive, notre domicile.