Fort heureusement (il était temps), le patrimoine quel qu'il soit est devenu le terme à la mode, le maître-mot en ce début du 21ème siècle. Le sauvetage de ce qui en reste et la valorisation du celui-ci est le résultat provoqué par la lassitude, qu'un nombre toujours plus important de personnes ressent face à l'invasion mondiale de la modernité à outrance et de la dictature du "design", choix qui sont responsables du massacre à grande échelle d'une quantité impressionnante de témoins du passé car, à partir des années 1960, les "élites" d'alors, dont certaines d'entre-elles étaient privées de la culture la plus élémentaire, considéraient les us et coutumes, ainsi que les objets quotidiens accusant le poids des ans, comme devenus obsolètes et bons à jeter; ils n'avaient pas compris que ceux-ci détenaient une âme qui leur était propre, âme en osmose avec leur environnement, bref, que ces témoins de la vie quotidienne étaient tout simplement devenus des êtres vivants à part entière, car ils avaient accompagné la vie des gens et ceux-ci s'y étaient légitimement attachés.
Au niveau des médias, de nombreux articles et émissions télévisées sont consacrés à la protection de notre patrimoine sous toutes ses formes (environnement naturel, ruines de civilisations disparues, réalisations architecturales classiques, peintures et sculptures figuratives, mobilier, outils et ustensiles domestiques, machines agricoles, archéologie industrielle, objets divers, moyens de transport terrestres, lacustres et aériens, ainsi que documents écrits, livres, photographies, arts plastiques, films, musiques et chants traditionnels du terroir et symphonies classico-européennes à l'harmonie absolue, enregistrements radiophoniques, etc., etc.); à titre d'exemple, les émissions, telles, qu'entres autres, "Des Racines et des Ailes" et "Le Grand Tour" de France 3 ou "Passe-moi les Jumelles" de la Télévision suisse romande, s'imposent d'elles-mêmes et sont toujours plus appréciées de la population, qui manifeste un désir viscéral de revivre son vécu ou de découvrir un monde enfui à tout jamais.
A mon niveau personnel, mon patrimoine est principalement constitué par mon modeste "Chemin de Fer-Musée du Cabanon", lieu ou s'exprime un réseau ferroviaire au système "alternatif 3 rails" des années 1950-1960 à l'échelle HO. Ainsi, la très grande majorité du matériel roulant y évoluant ne se trouve plus dans le commerce traditionnel, car disparu des catalogues contemporains. Par contre, dans les nombreuses bourses européennes aux jouets, ce genre de matériel est encore présent; (mais pour combien de temps ?) Quelle émotion que de tomber tout-à-coup sur une locomotive, un wagon ou un élément de décor, que l'on désirait depuis des lustres et qui détient en outre le pouvoir de nous replonger dans une époque que l'on a chérie, de ressusciter ce qui a été et qui, hélas, n'est plus aujourd'hui ! Oui, je l'affirme ici, mon modeste réseau de chemin de fer modèle constitue un authentique patrimoine, car il met en valeur une infrastructure, un matériel roulant, un décor et un système d'exploitation que (mis à part la mise en marche sporadique de trains historiques dans la réalité) l'on ne peut quotidiennement plus du tout admirer aujourd'hui.
Au matériel roulant neuf, encore dans sa boîte d'origine (donc non utilisé), je préfère nettement les véhicules-moteurs, les voitures voyageurs et les wagons marchandises ayant roulé et portant les stigmates de leur utilisation, cependant tout de même, bien évidemment encore en bon état général, cela va de soi. En effet, qu'y a-t-il de plus émouvant, de plus bouleversant même, que de prendre conscience que telle locomotive ou tel wagon a sa propre histoire (qui peut s'étendre sur cinquante à soixante ans) et a ainsi émerveillé le quotidien d'un ou de plusieurs enfants et parents, personnes que nous n'aurons peut-être, voire vraisemblablement, pas connus ? Que voilà un humanisme des plus grandiloquents ! Il en est de même pour ces autres témoins du passé, que sont les divers accessoires d'un réseau (entre autres, aiguillages, signaux, bâtiments et véhicules routiers ou encore postes de commande électromagnétiques du temps jadis). En outre, une particularité, à ne pas omettre de relever, réside dans le fait que le matériel roulant HO, cité ci-dessus, date de la fin des années 1940 au début des années 1980; son âge s'élève donc de plus de trente ans au minimum à plus de soixante ans au maximum, soit une moyenne de quarante à cinquante ans, moyenne qui correspond. actuellement en 2013, exactement à l'âge des trains réels d'alors, lorsque ceux-ci ont commencé à disparaître progressivement; cette similitude n'est-elle tout simplement pas bouleversante et cela n'exige-t-il pas de notre part un éminent respect envers ces modèles d'autrefois, chargés d'une histoire et de souvenirs presque aussi semblables que ceux des trains réels, et pourtant toujours aptes à nous émerveiller encore et encore, pour autant que leur maintenance soit régulièrement et, surtout, consciencieusement exécutée ?
Ce qui demeure, avant tout, également profondément attachant, c'est ce bruit, que dis-je, ce chant caractéristique que produit le matériel roulant de cette lointaine époque, matériel très majoritairement métallique et d'un autre âge, dont la musique est totalement inconnue sur les réseaux actuels, où, au contraire, règne en maître un silence quasi absolu !
Enfin et surtout, prenons conscience de ceci: la meilleure façon d'aimer les gens, c'est de reconnaître, d'admirer et de faire connaître les tâches et oeuvres qu'ils ont accomplies, réalisations cependant bien évidemment en parfait accord avec notre vision personnelle de la beauté, ainsi qu'à notre identité et notre intégrité.
Terminons cette ode au temps passé par les deux images de locomotives, figurant en début de chapitre et marquées par le poids des ans et des souvenirs depuis plus de cinquante ans, mais qui fonctionnent encore à la perfection et à la complète satisfaction de son humble propriétaire !
