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Il y a encore une quinzaine d'années environ, je possédais un chemin de fer modèle à l'écartement 0, selon le système désigné par « 3 rails alternatif », sur voies KEISER et BUCO, installation dont je me suis séparé en son temps en raisons de nouvelles affectations nécessaires au sein de mon domicile ; le produit de la vente de ce matériel m'a permis de me reconvertir au système HO actuel, qui a d'abord animé à la perfection un important réseau à voie unique de style gothardien dans une pièce du rez-de-chaussée de l'immeuble, puis maintenant plus modestement dans mon cabanon extérieur, sous la forme d'une ligne à double voie en palier au style "fond de vallée".
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En consultant divers sites Internet, dévolus aux chemins de fer modèles européens du temps jadis, particulièrement celui concernant le matériel roulant en tôle au style « train-jouet » ou, désigné selon le jargon des spécialistes par « Tin-Plate », j'ai redécouvert des illustrations, représentant des trains-jouets à l'échelle « 0 » des marques MAERKLIN, BUCO, HAG, FLEISCHMANN, etc.; je fus dès lors envahi par la nostalgie, principalement provoquée par la vision du modèle des locomotives BUCO 304 (inverseur de marche manuel) et 314 (inverseur de marche électro-magnético-mécanique « Bucomatic »), à la disposition des essieux 1-B-1 (2/4) et qui représente, sous une forme simplifiée et fort élégante mais, pour un modèle "jouet", exceptionnellement harmonieuse dans ses proportions, une des locomotives électriques parmi les plus emblématiques du Saint-Gothard, ceci en la personne de l'Ae 4/6. Ces machines furent construites en douze exemplaires (numéros 10801 à 10812) entre 1941 et 1945 et constituèrent les descendantes de l'illustre "Landilok", la célébrissime Ae 8/14 11852 de 1939 et en son temps la plus puissante locomotive du monde.
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Que ce soit en tête de trains directs du trafic intérieur suisse, de lourds express internationaux ou de trains de marchandises de transit (Italie – Nord de l'Europe ou vice-versa) et mis à part quelques très rares incursions sur d'autres lignes (par exemple de Bâle à Delémont ou de Lucerne à Langnau dans le cadre de leurs tours de service durant leur époque de gloire – entre 1941 et le milieu des années 1960 -), les locomotives Ae 4/6 furent les seules locomotives du Saint-Gothard à n'avoir majoritairement circulé qu'entre Bâle et Chiasso (via Olten - Lucerne – Küssnacht-am-Rigi ou Rotkreuz – Arth-Goldau et au-delà), ainsi qu'entre Zürich et Chiasso (via Baar - Zoug - Arth-Goldau et au-delà), alors que tous les autres types de locomotives existants se rencontraient pratiquement sur l'entier du territoire national. Les Ae 4/6 ont également parcouru les lignes tessinoises adjacentes de Bellinzone à Locarno et Luino (cette dernière dès juin 1960 lors de l'électrification de cette ligne). Durant les ultimes années de leur vie (fin des années 1960 à 1983), en tête de modestes trains omnibus, postaux et de détail avec service voyageurs, ces machines ne dépassaient plus que très rarement les gares de Lucerne sur le côté Nord et de Locarno sur la partie Sud de la Ligne du Saint-Gothard, remplacées qu'elles étaient par les nombreuses Ae 6/6, Re 4/4 II et III et autres Re 6/6. En vue de l'acquisition de quelques Ae 4/6 par la Compagnie SOB, des essais eurent également lieu sur cette ligne aux rampes de 50 o/oo, mais demeurèrent toutefois sans suite. D'une puissance de 5'540 CV et munies de la commande multiple, ces machines, ainsi couplées et telles une paire de "chevaux fougueux" (Feu Hans Schneeberg dixit), pouvaient remorquer la même charge que les Ae 8/14, soit 770 tonnes à 70 km/h sur les plus fortes rampes de 27 o/oo de la Ligne du Saint-Gothard (donc 385 tonnes en simple traction).
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Depuis que je connais l'Ae 4/6, j'ai toujours été très fortement impressionné par cette locomotive, qui dégage une « helvétitude » ou une « suissité » absolument hors du commun. En outre, en plein effort, ceci grâce au système d'entraînement des quatre essieux moteurs, désigné par « commande universelle SLM », son chant électromécanique s'apparentait à la voix humaine dans ce qu'elle offrait de plus sublime, ceci comme aucune autre machine ne pouvait le lui ravir ; elle était absolument digne d'une cantatrice, telle qu'Elisabeth Schwartzkopf ou Maria Calas ou encore semblable à un émouvant jodel, à un ténor d'opéra ou à un ch½ur d'hommes dans ce qu'il peuvent afficher de plus bouleversant, voire à un saisissant chant grégorien. A la fin des années 1970, installé dans la cabine arrière (alors que ma jeune épouse Suzanne se trouvait dans une mythique et fort confortable voiture voyageurs du type « schwere Umbau » lui faisant immédiatement suite), j'ai accompagné une telle machine (la 10805) entre Bellinzone et Biasca en tête d'un train de marchandises de détail avec service voyageurs ou « GmP » pour Güterzug mit Personenbeförderung ; son chant si mélodieux a failli me provoquer un évanouissement d'émotion (à ce sujet, mon ouvrage « Nostalgie sur Rails », édité à compte d'auteur en janvier 1994, présente en détail cet événement). Les deux derniers exemplaires, ayant circulé pour l'ultime fois en unité multiple en tête d'un lourd train de marchandises entre Bellinzone et Erstfeld, furent les 10805 et 10811, ceci en date du 3 mai 1983, c'est-à-dire qu'il y a plus de 30 ans ; quelques jours plus tard, ces deux locomotives mourraient tragiquement dans le cimetière de Biasca entre les mains de ferrailleurs-démolisseurs ! Mon Dieu, que le temps passe, que la légende s'efface inexorablement, pour laisser la place à une légitime détresse, que je ressens parfois violemment suite à la complète disparition de cette série de machines, que j'affectionnais tant !
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Afin d'éradiquer le deuil insurmontable face à la mort des Ae 4/6, j'ai acquis à nouveau une locomotive BUCO du type 314, placée bien en vue en compagnie de quelques wagons "Tin-Plate" sur la planchette porte-rideaux de la fenêtre de mon bureau ; mon domicile ne pouvant plus recevoir d'autre réseau de chemin de fer, cette machine demeurera présente en ma demeure et sera désormais un de mes anges gardiens en « veillant » sur moi ; toutefois, il est possible que cette locomotive soit un jour appelée à circuler sur le réseau d'un ferrovipathe acceptant de mettre à disposition son installation à l'intention de ce lointain témoin des années 1950 ; l'avenir me le dira !
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Parallèlement à ce petit convoi, je désire également progressivement acquérir par la suite quelques anciens wagons « Tin-Plate" BUCO de différents types, aux aspects et coloris variés et chatoyants, ceci afin de former une composition harmonieuse, représentant ainsi la Ligne du Saint-Gothard dans ce qu'elle offrait parmi ses témoignages les plus authentiques qui soient. Le convoi prévu consiste en la résurrection d'un train marchandises de détail, avec service voyageurs, soit, en allemand: "Stückgüterzug mit Personenbeförderung"; cette rame devrait au moins être formée d'une voiture voyageurs BUCO à quatre essieux, puis de wagons couverts du type K2, de wagons tombereaux L6, de wagons plats M6, d'un wagon bi-foudres, ainsi de divers wagons-citernes, soit entre 12 et 15 wagons au total.
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Pour ne citer que les trois marques ci-après, si le matériel roulant HO de MAERKLIN, BUCO et HAG (prioritairement métallique), produit entre la fin des années 1940 et les années 1970, voire les années 1980 dans certains cas, représente les chemins de fer européens dans ce qu'il offraient quotidiennement de plus sublime et de totalement irremplaçable, les trains-jouets à l'écartement 0, produits par ces trois mêmes firmes, ont plongé et plongent toujours leurs admirateurs et possesseurs inconditionnels dans l'émerveillement le plus absolu qu'ils aient vécu durant leur enfance car, face à ces merveilles en tôle imprimée avec la plus grande des élégances, leur imagination, activée par ces modèles simplifiés mais tellement authentiques dans leur expression par rapport aux véhicules réels, atteint des sommets de plénitude contemplative ; ainsi, à titre d'exemple, face aux locomotives 304 ou 314 de BUCO, c'est bien l'Ae 4/6 du Saint-Gothard, qui m'apparaît dans toute sa splendeur et donc qui me réconforte ; si cette machine BUCO se présente dans un aspect fort simplifié par rapport à la machine réelle, elle m'offre cependant ce qu'elle a de plus cher, de plus profond et de plus intime, c'est-à-dire l'âme de l'Ae 4/6 réelle ! De surcroît, ce matériel roulant « Tinplate », formé d'éléments majoritairement en tôle emboutie astucieusement assemblés, produit une musique de roulement ferroviaire des plus parfaites qui soient, musique comparable à celle des véhicules HO en fonte injectée et roulant sur de la voie « M » MAERKLIN !
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Ci-après, quelques photographies des plus explicites, tout d'abord de quelques Ae 4/6 dans leur vie réelle, puis sous forme de modèles réduits BUCO.


